Le Pen et Bardella ont réuni leurs alliés nationalistes qui disent tout haut ce que, eux, n’osent pas encore dire

POLITIQUE – 150 habitants et un soleil de plomb. C’est ici, à Mormant-sur-Vernisson, dans le Loiret, que le Rassemblement national a organisé ce lundi 9 juin sa « grande fête de la victoire », un an, jour pour jour, après les élections européennes et le score record de son camp.
Le casting de cette garden-party champêtre se veut cinq étoiles : au milieu des champs de maïs et de blé, en souffrance à cause de la sécheresse, Jordan Bardella et Marine Le Pen accueillent le gratin de l’extrême droite continentale, dont le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, le vice-premier ministre italien Matteo Salvini ou l’Espagnol Santiago Abascal.
« Non, monsieur Orban, vous n’êtes pas le bienvenu en France » – TRIBUNE
Le décorum se veut tout aussi soigné, bottes de paille et engins agricoles en paysage. « Ce qui nous unit à nos partenaires, c’est la défense de cette ruralité, de cette économie, que Bruxelles a tant attaquée », résume en ce sens le député Laurent Jacobelli, assailli de selfies dans son costume cravate. À la tribune, s’accumule surtout une ribambelle de discours identitaires, aux accents xénophobes, pour certains. Une sorte d’Eurovision nationaliste qui dit beaucoup du Rassemblement national, malgré sa logique de normalisation en France.
Le « grand remplacement » dans toutes les langues
Le « grand remplacement » se décline donc en toutes les langues. En danois, tout d’abord, avec l’eurodéputé Anders Vistisen qui ouvre le bal en dénonçant le rôle des ONG et des « organisations immigrationistes. » Puis en grec, en espagnol, et surtout en hongrois. Tant pis si Marine Le Pen et Jordan Bardella n’assument pas aussi pleinement cette théorie complotiste, qui dénonce l’organisation pensée de la substitution d’une population par une autre.
Santiago Abascal, le leader de Vox, parti d’extrême droite de l’autre côté des Pyrénées, fustige par exemple le « remplacement des familles européennes » quand Matteo Salvini, le vice-premier ministre italien monte à la tribune pour éructer contre une « union européenne colonisée » qui subit « l’invasion des clandestins islamistes ». Succès garanti.
Dans la foule, où les drapeaux italiens, espagnols, portugais, distribués par les organisateurs à l’entrée, ont du mal à rivaliser avec les drapeaux français, les milliers de militants réagissent à chacune de ces saillies offensives – après leur traduction de l’anglais au français. Bronca, contre « ceux qui se couchent », ou ovation pour les idées nationalistes exprimées aujourd’hui sans grande retenue, c’est selon. À ce petit jeu, l’intervention du Premier ministre hongrois – seul chef de gouvernement présent au raout – est sans doute la plus significative, avant celles des dirigeants français.
Pour cause. Marginalisé parmi les dirigeants européens pour sa politique illibérale, notamment concernant la presse et les minorités, Viktor Orbán déroule à la tribune toute une diatribe contre les institutions de Bruxelles, Ursula Von der Leyen en tête, les accusant de soutenir un « échange organisé de populations pour remplacer le socle culturel du continent. » En d’autres termes, d’organiser le fameux « grand remplacement. »
« Nous ne les laisserons pas détruire nos villes, violer nos filles »
« Nous ne les laisserons pas détruire nos villes, violer nos filles et nos femmes, tuer des citoyens pacifiques », s’insurge-t-il encore, en parlant des « migrants » qu’il se targue de repousser. De quoi récolter, là aussi, les applaudissements du public – français, pour l’immense majorité.
Dans cette guirlande, les autres marottes de l’extrême droite décomplexée trouvent évidemment bonne place. Ainsi, la présidente du parti d’extrême droite grecque « voice of reason » Afroditi Latinopopoulou s’en prend à des institutions européennes désireuses « d’élever nos enfants sans qu’ils sachent s’ils sont des garçons ou des filles. » Son collègue, le Flamand Tom Van Grieken fustige lui le rôle des journalistes, après avoir expliqué ne pas être seulement « contre l’islam, mais fier d’être chrétien. »
Autant de prises de parole qui tranchent quelque peu avec le ton du Rassemblement national, un parti qui cherche la normalisation depuis des années et qui pêche, notamment, à cause du pedigree de ses alliés – plus réactionnaires encore. Ce lundi, ni Marine Le Pen, ni Jordan Bardella ne reprennent le thème du « grand remplacement » à leur compte.
Des alliés anti-normalisation
Ils dénoncent bien sûr les contours de l’Union actuelle, « hôtesse d’accueil pour l’immigration illégale pour l’un », ou « empire marchand, wokiste, ultralibéral », pour l’autre. Mais en des termes un peu différents – moins outranciers – de leurs partenaires.
Un risque ? Peut-être, mais calculé, veut croire Laurent Jacobelli. « Chacun est libre de dire ce qu’il veut, chaque pays à sa propre histoire, ses racines. Nous sommes contre l’uniformisation que prônent les dirigeants européens actuels », nous explique-t-il. Dans l’assistance, en tout cas, personne ne semble gêné par la teneur des discours. Au contraire ? « Ah, ce n’est pas Macron hein », ponctue par exemple Dominique, militant cinquantenaire aux côtés de son épouse, en reprenant les mots de Viktor Orbán pour « se battre » contre les institutions bruxelloises.
Dans son discours, le dirigeant hongrois, n’a pu s’empêcher également de faire référence à la Pentecôte, comme Marine Le Pen après lui, en évoquant cette fête chrétienne qui célèbre la descente de l’Esprit saint et le début de l’évangélisation. D’autres pourraient se souvenir d’un anniversaire plus récent, il y a 30 ans, et l’avertissement de François Mitterrand : « le nationalisme, c’est la guerre. » En l’occurrence, dans le Loiret, « nationalism means war. »
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