le pape Léon XIV, le bon négociateur pour la paix entre l’Ukraine et la Russie?

Le Vatican deviendra-t-il un lieu plus propice aux négociations qu’Istanbul? Et l’intervention du pape pourrait-elle déboucher sur des résultats tangibles? Après l’échec des pourparlers qui se sont tenus en Turquie la semaine dernière, l’Ukraine et ses alliés, aussi bien européens qu’américains, ont accueilli chaleureusement la proposition du Saint-Siège d’être le théâtre des négociations entre Kiev et Moscou.
Lundi soir, à l’issue de son appel avec Vladimir Poutine, Donald Trump faisait partie des dirigeants enthousiasmés par cette “formidable idée”.
Depuis son élection en tant que pape, Léon XIV a multiplié gestes et déclarations pour Å“uvrer à la fin des combats entre les deux bélligérants. “L’Ukraine attend finalement des négociations pour une paix juste et durable”, a-t-il affirmé dimanche durant la messe inaugurant son pontificat. Un événement en marge duquel il a rencontré Volodymyr Zelensky et son épouse ainsi que le vice-président américain JD Vance.
Une proposition en deux temps
S’inscrivant dans cette volonté papale, la proposition de devenir l’hôte des tractations entre délégations ukrainienne et russe constitue un pas supplémentaire franchi “de manière assez subtile”, remarque BFMTV.com François Mabille, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et directeur de l’Observatoire géopolitique du religieux.
Une subtilité consubstantielle à l’art de la diplomatie et passant par les mots et les formules employés par Léon XIV. Mercredi, devant les représentants des Églises chrétiennes d’Orient, le pape s’est ainsi borné à évoquer les conflits dans le monde entier, “de la Terre Sainte à l’Ukraine, du Liban à la Syrie, du Moyen-Orient au Tigré”.
Il a souligné que le Saint-Siège était “disponible pour que les ennemis se rencontrent et se regardent dans les yeux”. Sans mentionner qui étaient lesdits “ennemis”.
Deux jours plus tard, Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican et rouage essentiel de la machine diplomatique de l’Église catholique, s’est chargée d’appliquer une couche supplémentaire et plus précise. “Le pape prévoit de mettre à disposition le Vatican pour une rencontre directe entre les deux camps”, a déclaré le cardinal, cité par l’agence de presse italienne Ansa.
Léon XIV, un pape mieux armé que François
Avec cette proposition, le Vatican adopte une “posture diplomatique traditionnelle comparable à celle de la Suisse et tranchant avec l’attitude plus volontariste du pape François. Ce dernier avait voulu s’imposer comme médiateur alors que ni Volodymyr Zelensky, ni Vladimir Poutine ne le lui demandait”, observe François Mabille, auteur de Le Vatican – La papauté face à un monde en crise (Eyrolles, 2025).
“Ces déclarations permettent aux diplomaties chargées de la médiation, en l’occurrence ici la diplomatie américaine, de se saisir de cette proposition, ce qui ne veut pas dire que Vladimir Poutine l’acceptera.”
Avec Léon XIV sur le trône de Saint-Pierre, la suggestion du Vatican a cependant plus de chances d’aboutir que si elle avait été mise sur la table par son prédécesseur. Car “jusqu’au début de la guerre, le pape François s’est montré assez ouvert à la politique extérieure de Moscou” et sa position a été marquée par des “atermoiements”, notamment sur la question de la condamnation des agissements de la Russie, rappelle François Mabille. Ces hésitations l’ont amené à être “un peu démonétisé”.
Le souverain pontife décédé le mois dernier s’est toutefois montré actif dans ce dossier, en dépêchant par exemple sur le terrain le cardinal Matteo Zuppi en vue de “l’apaisement des tensions dans le conflit en Ukraine”. Avec quelques résultats concrets à la clé, puisque l’archevêque de Bologne a contribué à des échanges de prisonniers entre Kiev et Moscou ou au retour d’enfants ukrainiens après leur enlèvement par les Russes.
Le pape Léon XIV, en plus d’être délesté d’un bilan contracté, a également pour lui d’avoir vu son élection être “accueillie favorablement par Vladimir Poutine alors même qu’il est américain”, ajoute encore le spécialiste du Vatican, qui souligne dans le même temps que le pape François ne portait par Washington dans son coeur. “Le jeu est peut-être plus ouvert qu’avec le pape précédent”, note-t-il.
Le précédent du Beagle
La perspective de voir le Saint-Siège se transformer en théâtre de négociations n’en reste pas moins inhabituelle. En règle générale, la diplomatie papale se saisit du prétexte d’un colloque ou de tout autre manifestation pour s’activer en coulisses, entre deux portes ou dans un couloir.
“Ces événements peuvent servir de pré-négociations qui se font parfois effectivement au Vatican”, observe François Mabille. “À l’époque de Benoit XVI, sous couvert d’un colloque entre musulmans chiites et l’Église catholique, on sait qu’il y a eu des rencontres entre émissaires américains et iraniens sur la question du nucléaire.”
Un exemple fait cependant office de cas remarquable: le conflit du Beagle entre l’Argentine et le Chili. Il a trouvé sa résolution par la signature d’un traité de paix en 1984 au Vatican après des années de tensions et de médiation de la part du Saint-Siège menée par l’envoyé de Jean-Paul II, le cardinal Antonio Samorè.
Dans le cadre de cette médiation, les délégations argentine et chilienne s’étaient ainsi rendues à Rome au printemps 1979 pour le coup d’envoi de longs mois de réunions de travail qui avaient été précédées d’une messe célébrée par le cardinal Samorè. En novembre dernier, à l’occasion du 40e anniversaire de la signature du traité, le pape François brandissait cet exemple tel un étendard et un modèle pour de nombreux États à l’heure où règne “l’hypocrisie de parler de paix et de jouer à la guerre”. Son successeur pourrait bientôt avoir l’occasion de le suivre.
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