21 October 2025 22:25

Beyou et Lagravière se confient avant la Transat Café L’Or

Dimanche, Jérémie Beyou et Morgan
Lagravière prendront le départ de la Transat Café L’Or à bord de
Charal 2. Quatrième en 2023 avec Franck Cammas, le skipper breton
de 49 ans a fait appel au Réunionnais de 38 ans, double tenant du
titre avec Thomas Ruyant, pour tenter de franchir un cap. A
quelques jours du départ, ils se sont confiés à notre
site.

Jérémie Beyou et Morgan Lagravière, quelle est la genèse
de votre duo ?

JB : Je pense qu’on avait besoin de passer un petit step en termes
de performance sur Charal 2. Je sais que Morgan sait faire avancer
très vite les bateaux. J’avais navigué un petit peu avec lui sur la
mise au point de Charal 1 avant le Vendée Globe 2020, je
connaissais déjà sa capacité à trouver les petits détails. J’avais
envie de renaviguer avec lui depuis ce moment-là. L’idée cette
fois-ci, contrairement à ce que j’avais fait avec Franck (Cammas),
où on était vraiment assez similaires, c’est plus de mettre en
place une répartition des rôles. Je suis plus focalisé sur tout
l’aspect stratégie et gestion du bateau et Morgan sur la partie
performance.

ML : Jérémie m’a contacté dans le deuxième tiers de l’année
2024. J’étais déjà dans une perspective de Transat Café L’Or avec
Thomas Ruyant, avec qui j’ai gagné les deux éditions précédentes.
Et les choses ont évolué un petit peu différemment en interne pour
lui avec des changements de perspective et d’autres projets qui se
sont greffés dans son organisation. Donc voyant tout ça arriver,
avant même que les choses soient actées, je me suis dit que ça
pouvait être intéressant de voir d’autres manières de faire. Et
donc j’ai rappelé Jérémie et je lui ai dit que la perspective
m’intéressait. C’était pendant son Vendée Globe.

Quel sera votre rôle à chacun sur le bateau
?
JB : De mon côté, ce sera surtout la gestion
stratégique et le positionnement du bateau en fonction de la météo,
comment on décide de mettre de l’écart par rapport aux concurrents.
Ce n’est pas uniquement la météo, c’est le positionnement du bateau
sur le grand échiquier qu’est l’océan Atlantique. La répartition
est assez claire. Quand il y a des prises de décisions, on en
discute parce qu’on est quand même deux fois plus intelligents à
deux. En termes de choix de voile, si on hésite un petit peu, c’est
plus Morgan qui va trancher.

ML : Jérémie est quelqu’un qui aime la stratégie, prendre les
décisions par rapport aux aspects météo et l’orientation du
cheminement sur les courses. Moi, je suis quelqu’un qui est
beaucoup plus intuitif et beaucoup plus centré sur l’aspect
performance pure du bateau. On s’est organisé comme ça avec les
responsabilités associées. C’est un peu comme ça que je
fonctionnais avec Thomas et je trouve que ça marche très bien aussi
avec nos prédispositions intrinsèques avec Jérémie.

A la fin, le dernier mot est pour Jérémie…
ML : Oui, ça reste quand même son bateau. Mais il n’y a jamais
vraiment de conflit. Si Jérémie dit qu’il faut aller de tel côté,
je peux le questionner, mais je ne mettrai jamais en doute une
orientation stratégique. Mais de la même manière que si je dis à
Jérémie que je pense que le bateau fonctionne mieux comme ça, je le
vois mal mettre ça en question. J’arrive en tant que co-skipper sur
cette course-là. Forcément, je vais donner mon maximum et apporter
ma pierre à l’édifice. Mais le skipper reste Jérémie et ça reste la
continuité de son projet, évidemment.

Lagravière : « Les 2-3
heures de vent qu’on a eues ont été exceptionnelles en termes de
performance »

Vous avez terminé troisièmes du défi Azimut pour votre
seule course de préparation, cela vous a permis de mettre votre duo
à l’épreuve ?
JB : Oui, c’était bien tordu, on avait
une situation assez orageuse avec des conditions de vent très très
faibles. Ça s’est fini par une une belle troisième place au vu du
potentiel du bateau dans ces conditions-là. On a pu tester toute
cette communication qui n’est pas si évidente. La base est plutôt
très bonne, et on pense qu’on a nos chances sur cette Café
L’Or.

ML : Le défi Azimut était très particulier cette année parce
qu’on a eu 45 heures de pétole sur 48 heures de course, donc ce
n’est pas très révélateur des conditions qu’on a sur une Transat
Café L’Or. En revanche, les 2-3 heures de vent qu’on a eues, elles
ont été exceptionnelles en termes de performance pour nous. On en
est sortis avec une banane d’enfer parce que les 2-3 heures de vent
nous ont fait oublier tout le début.

Est-ce important que Morgan arrive avec un regard neuf
sur Charal 2, alors que vous, Jérémie, le connaissez par cœur
?
JB : Oui, ça c’est vraiment bien. J’ai essayé de ne
pas trop lui en dire sur les qualités et les défauts du bateau, de
le laisser découvrir tout seul, et l’œil neuf voit forcément des
choses, des défauts essentiels, parfois insoupçonnés, que je ne
voyais pas. Il y a des petites choses qu’on a modifiées sur le
bateau, parce qu’on avait le temps et les ressources pour le faire
cette année, et puis il y en a d’autres qu’on va faire l’année
prochaine, guidés par ses observations. Morgan ressent les choses
assez facilement, et surtout il arrive à bien les remettre en
vocabulaire, et aussi à proposer des solutions. Moi j’ai la
responsabilité du projet, donc j’ai aussi toute la partie gestion
de l’équipe, du bateau. Je suis impliqué, jour et nuit, vacances et
week-ends, dans ce projet-là. Morgan, lui, vient additionner ses
compétences, faire avancer vite le bateau, ça lui permet vraiment
d’arriver à prendre du recul, et quand le bateau ne navigue pas, de
s’aérer la tête. Il est capable de me dire, quand je suis un petit
peu cramé, ou que j’ai trop la tête dans le guidon, que ça serait
bien que je calme le jeu, et que je me repose un peu.

ML : Ces dernières années, j’ai navigué dans pas mal de projets
différents. Du coup, je pense avoir une vision assez globale de
tout ce qui se fait aujourd’hui, des bonnes choses et des moins
bonnes, sur la dimension sportive évidemment, mais aussi sur la
partie globale du projet. Charal est un bateau qui a beaucoup de
caractère et qui adore être valorisé, dans le sens où quand on
s’investit sur la performance, il donne beaucoup. Du coup, moi, ça
m’éclate. Ce bateau, quand on le pousse à 100%, il est extrêmement
rapide il vole et ça, c’est assez chouette.

Jérémie vous êtes plutôt impulsif, et Morgan plutôt
calme, est-ce que vos deux caractères se complètent sur le bateau
?

JB : Il y a une différence de caractère et c’est sûr qu’à terre, on
a l’impression qu’avec ce recul, Morgan est moins intense que moi.
En revanche, une fois qu’on est sur l’eau, il est là pour gagner,
il ne lâche rien, il donne tout. La différence c’est la capacité à
prendre du recul, et c’est sûr que là-dessus, il apporte
beaucoup.

ML : Effectivement, peut-être que j’ai un côté un peu plus
joyeux sur l’eau, mais ce n’est pas comme ça que je veux le
décrire. Quand on met les pieds sur le bateau, encore plus en
course, on devient un autre personnage. On a tous les deux cette
vraie volonté d’y arriver, de se mettre la pression pour y arriver,
de bien faire.

Beyou : « On a un meilleur
potentiel que sur l’édition précédente »

Morgan, vous avez participé à l’Ocean Race Europe cet
été, était-ce prévu avant de vous engager avec Jérémie et que cela
vous a-t-il apporté ?
ML : C’est un compromis qu’on a
trouvé en se disant que ça me permettait de faire une continuité
progressive avec l’équipe de Thomas avant de partir complètement.
Et puis, c’était aussi instructif pour Jérémie de pouvoir avoir
quelqu’un qui continue d’accumuler de l’expérience sur un format un
peu différent. Le Tour de l’Europe a été une super expérience en
équipage, sur un bateau différent. Après, il faut être sûr d’être
capable de bien récupérer, d’être organisé pour ne pas trop se
cramer parce que c’est vrai que depuis le début de l’année, je n’ai
pas beaucoup arrêté. Je fais partie des gens qui sont convaincus
que la fraîcheur, c’est vraiment de la performance directe. Surtout
sur des courses longues et aussi exigeantes comme celle qui nous
attend bientôt.

Quelles seront vos ambitions sur cette Transat Café L’Or
?
JB : On a un meilleur potentiel que sur l’édition
précédente. Est-ce que ça suffira, je ne sais pas, les concurrents
ont progressé aussi, mais en tout cas, on est content de ce qu’on a
fourni jusque-là.

ML : Réussir le triplé (à titre personnel), c’est sûr que c’est
l’objectif. C’est une carotte, on va dire. Mais c’est un sport où
on a beau être complémentaires, avoir un très bon bateau, si ce
n’est peut-être le meilleur, il y aura tellement de variables… On
est dans un environnement où on peut taper quelque chose, avoir une
casse technique, des conditions qui ne sourient pas, ça peut ne pas
se passer comme on l’imagine. Il faut rester super humble.

Faire une saison sur deux en double, c’est quelque chose
que vous appréciez ?
JB : Oui, le calendrier est bien
fait. Cette année, avec l’entrée de l’Ocean Race dans le programme
Imoca, on a rajouté des courses en équipage, qui sont
intéressantes, pour avoir des super-navigants, des spécialistes à
bord comme j’ai pu avoir avec Lou Berthomieu, qui est une star de
l’Olympisme, ou Tom Dolan, qui a été vainqueur de la Solitaire du
Figaro. Ça permet d’avoir des profils très différents à bord et
d’apprendre d’eux.

ML : Je n’ai pas de projet à proprement parler. Toutes ces
courses en double, c’est un exercice que j’adore. Je trouve que
c’est super adapté à ces bateaux-là. En solitaire, on ne capitalise
pas forcément sur la machine telle qu’elle est conçue pour. Et là,
en double, on arrive vraiment à faire tourner les compteurs à 100%
et être à fond. C’est vrai que ça fait plus de quatre ans
maintenant que je le vis entre l’équipage et le double, et je
commence à avoir des envies de refaire un petit peu de solo. C’est
vrai qu’une route du Rhum, l’année prochaine, c’est quelque chose
qui typiquement pourrait m’intéresser.

Crédit photo : Yann Riou – Polaryse / Charal

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