assassinats, cyberattaques, infiltrations… cette guerre des espions qui fait rage depuis des décennies

Un “aboutissement d’années de collecte de renseignements”. Le service des renseignements extérieurs israéliens, le Mossad, a orchestré une attaque d’une ampleur sans précédent en Iran le 13 juin dernier avec pour objectif affiché de priver le pays de sa capacité à se doter de l’arme nucléaire.
Des centaines de cibles militaires et nucléaires ont été visées, plusieurs dirigeants des Gardiens de la Révolution ont été tués, dont les plus hauts gradés du pays, ainsi que des scientifiques du nucléaire. L’Iran a riposté en lançant des missiles sur Israël. Depuis six jours maintenant, les “ennemis jurés” s’échangent des tirs de missiles meurtriers.
Selon les médias israéliens, l’opération baptisée “Rising Lion” (“Lion dressé”) a mis entre huit mois et deux ans à être préparée. Pendant ces longs mois, Israël a “transité” en Iran “des pièces pour assembler des centaines de drones équipés d’explosifs”, précisent nos confrères américains du Wall Street Journal. Des armes de précisions ont été introduites et des commandos israéliens sont entrés dans le pays, abonde le Times of Israël.
Ces commandos “avaient positionné des systèmes d’armes guidées en plein air près des lanceurs de missiles sol-air iraniens”, explique à l’AFP le journaliste israélien spécialisé Barak Ravid. Le service a aussi “déployé secrètement des systèmes d’armes et des technologies sophistiquées cachées dans des véhicules”.
Au total, “des centaines d’agents du Mossad, à la fois à l’intérieur de l’Iran et au siège, ont été impliquées, y compris une unité spéciale d’opérateurs iraniens travaillant pour le Mossad”, assure Barak Ravid. Cette infiltration dans les plus hautes sphères iraniennes remonte en réalité à des décennies.
Israël “surveille tout ce que fait l’état-major iranien depuis près de 20 ans”
Devenu ennemis avec l’Iran en 1979 lors de l’instauration de la République islamique qui a fait de la destruction d’Israël son ADN, l’État hébreu a été ébranlé par la découverte en 2002 de l’existence de deux sites atomiques iraniens, Natanz et Arak. Depuis, Israël n’a cessé de surveiller les avancées nucléaires de son adversaire.
“Ils écoutent et ils surveillent tout ce que fait l’état-major iranien depuis près de 20 ans”, explique sur RTL Vincent Nouzille, journaliste d’investigation et spécialiste de l’espionnage.
Les frappes israéliennes en Iran constituent “l’aboutissement d’années de collecte de renseignements et de pénétration de la République islamique”, affirme de son côté à l’AFP Michael Horowitz, un géopoliticien israélien.
Le Mossad a réussi à profondément s’infiltrer dans la population iranienne. “En Iran, il est de notoriété publique qu’Israël a réussi à infiltrer les plus hauts niveaux des Gardiens de la révolution et des services de renseignements”, nous assure Hamid Enayat, politologue et spécialiste de l’Iran.
Les agents recrutés par le service de renseignement israélien sont pour la plupart des Iraniens. “Quand on a un régime extrêmement autoritaire comme l’Iran, les personnes qui ne supportent plus le régime acceptent plus facilement de coopérer avec une puissance étrangère pour renverser le pouvoir en place”, souligne Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignements extérieurs, contacté par BFMTV.com.
Si l’argent est un appât important dans le monde du renseignement, les motivations idéologiques sont primordiales en Iran. Le Mossad recrute au sein même des Gardiens de la révolution, le bras armé de la République islamique sous les ordres du guide suprême, Ali Khameinei. Le service israélien vient aussi séduire les minorités ethniques du pays. “Les Israéliens jouent sur le fait que l’Iran n’est pas uniquement composé de Perses. Il y a aussi des Arabes, des Azéries, des Kurdes…”, détaille Alain Rodier.
Pour Hamid Enayat, il n’est “pas surprenant que des infiltrations à haut niveau aient été possibles depuis longtemps”. “Ce n’est pas particulièrement difficile d’infiltrer un système corrompu et gangrené comme celui du régime iranien”, estime-t-il.
Le régime iranien tente de traquer ces infiltrés. “Le régime est paranoïaque”, estime l’expert du renseignement. Depuis l’opération israélienne du 13 juin, la République islamique multiplie les arrestations. En cinq jours, 28 personnes ont été arrêtées et accusées d’espionnage pour Israël.
La justice iranienne a annoncé lundi avoir pendu Esmaeil Fekri, un homme arrêté en 2023 et reconnu coupable d’être un agent du Mossad. Des dizaines de personnes ont également été arrêtées à travers le pays pour avoir soi-disant partagé des articles en ligne “en soutien au régime sioniste” perturbant la “sécurité psychologique de la société”, relève CNN.
Le régime exhorte sa population “à se méfier des étrangers portant des masques ou des lunettes de protection” ou “filmant autour des zones militaires, industrielles ou résidentielles”. Il leur est demandé de signaler “les bruits inhabituels provenant de l’intérieur” des habitations ou les maisons avec “des rideaux tirés pendant la journée”.
Cette paranoïa, Israël s’en délecte. En revendiquant clairement son opération, “son objectif est de créer une ambiance délétère dans les milieux décisionnels et de rajouter au désordre ambiant”, relève Alain Rodier.
Une guerre de l’ombre entre Iran et Israël
Revendiquer ses opérations en Iran n’est pas dans les habitudes israéliennes. Depuis plus de 20 ans, l’État hébreu cible l’Iran, dans l’ombre. Et réciproquement. Les deux pays se livrent à une guerre indirecte depuis des décennies.
“Israël a commandité de nombreuses opérations clandestines d’éliminations ciblées”, déclare David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Moyen-Orient. Notamment sur des scientifiques liés à l’effort nucléaire et balistiques. En 2020, le scientifique Mohsen Fakhrizadeh, considéré comme le “père” du programme nucléaire iranien, a été assassiné.
L’Iran accuse aussi Israël d’avoir mené ces dernières années une série de cyberattaques ou d’avoir déclenché des explosions visant notamment des sites nucléaires.
D’autres actions ont été revendiquées par Israël. En 2018, le Mossad s’est vanté d’avoir volé des archives nucléaires secrètes iraniennes entreposées dans un bâtiment de la banlieue de Téhéran.
Autre affront de taille pour la République islamique d’Iran: l’élimination du chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, en juillet dernier en plein cœur de la capitale. Le chef du mouvement islamiste palestinien qu’Israël s’est juré de détruire après le 7-Octobre a été tué alors qu’il se trouvait dans une chambre hautement surveillée d’une maison d’hôtes des Gardiens de la révolution.
“C’est l’œuvre d’un commando infiltré”, assure l’ancien officier des services de renseignements extérieurs Alain Rodier. “Une telle action ne peut avoir lieu que s’il y a un travail long et complexe de renseignements en amont. Les Israéliens sont très forts là-dessus”, abonde-t-il.
Deux mois plus tard, en septembre, l’État hébreu a revendiqué l’assassinat dans la banlieue sud de Beyrouth d’Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah libanais et mouvement allié de l’Iran.
L’Iran “n’a pas été capable de colmater les failles de son système”, estime auprès de l’AFP Danny Citrinowicz, de l’Institut des études de sécurité nationale de Tel-Aviv. “Cela montre la supériorité opérationnelle et en termes de renseignement d’Israël sur l’Iran”.
Faible de son service de renseignement, l’Iran recourt à des groupes alliés
Contrairement à son ennemi israélien surnommé le “Petit satan” et qualifié en 2009 par l’ayatollah Khamenei de “tumeur cancéreuse”, l’Iran ne mène pas directement – dans cette guerre de l’ombre – des opérations via son service de renseignement extérieur. La République islamique utilise ce que l’on appelle ses “proxys”, soit des groupes armés qui lui sont subordonnées et qu’elle peut utiliser pour agir à son profit dans la région sans officiellement s’impliquer. Font partie de cette “Axe de la résistance”, le Hezbollah libanais – une création des services de renseignements iraniens et syriens -, le Hamas, le Jihad islamique, les rebelles Houtis au Yémen ainsi que d’autres milices chiites en Syrie ou en Irak.
Via ses “proxys”, l’Iran est accusé par Israël d’avoir commandité des attentats meurtriers. Les attentats contre l’ambassade d’Israël en 1992 et contre la mutuelle israélienne Amia en 1994, à Buenos Aires, ont fait au total plus de 100 morts et de 500 blessés.
“L’Iran a également tenté d’éliminer des hommes d’affaires israéliens”, nous explique David Rigoulet-Roze. En juin 2023, le Mossad a par exemple annoncé avoir “appréhendé” un Iranien qui projetait de tuer un homme d’affaires israélien à Chypre.
Israël accuse également l’Iran d’être à l’origine d’attaques de drones et de roquettes sur son territoire, ainsi que de plusieurs cyberattaques.
Si les renseignements iraniens utilisent les “proxys” pour agir, c’est aussi parce qu’ils sont trop occupés à surveiller les menaces intérieures. “Les services de renseignement iraniens ne sont pas conçus pour protéger la sécurité nationale ou contrer des infiltrations étrangères, comme c’est le cas dans les autres pays”, nous explique Hamid Enayat qui collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI) . “Ils sont exclusivement tournés vers la surveillance, l’intimidation, l’arrestation ou l’assassinat des opposants”.
“Les agents des services de renseignements iraniens ne sont de plus pas très bons à l’extérieur”, ajoute Alain Rodier. “Ils n’arrivent pas à bien s’adapter, à se couler dans la masse, ils sont visibles comme le nez au milieu de la figure”, image-t-il.
Des défauts qui importent peu à la République islamique d’Iran ces derniers jours. Si elle avait déjà rompu avec sa stratégie historique en menant les premières frappes directes de son histoire sur Israël en avril et en octobre dernier, la guerre de l’ombre est depuis six jours bel et bien enterrée.
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